Analyses

Laurent Danchin

écrivain, critique d’art

Les maisons peintes, décorées par leurs habitants eux-mêmes, étaient autrefois nombreuses à la campagne, surtout dans les régions et les pays où dominait le bois, et c’était un trait distinctif de l’art populaire à l’ère préindustrielle où, dans les auberges ou les fermes, portes et volets peints, barrières ornées, décors de cheminées et épis de faîtières, n’étaient pas rares. Sans compter les mille et une façons de colorer les façades et d’égayer les huisseries, les gouttières, les toits, les murs aveugles, etc., pour agrémenter le décor d’un quotidien souvent ingrat. Dans un contexte urbain et à l’époque moderne industrielle, où sont apparus des supports nouveaux – volets de fer, plâtre, ciment armé –, tandis que l’habitat se laissait enfermer dans un carcan de réglementations très strictes, l’équivalent est beaucoup moins habituel. C’est ce qui fait d’abord l’originalité et le caractère ‘hors-normes’ du Petit Paris de Marcel Dhièvre, qu’aux Etats-Unis sans doute les connaisseurs considéreraient tout simplement comme un cas typique d’art populaire (Folk Art) contemporain, c’est-à-dire de Folk Art urbain, caractéristique d’une époque de mutation où le fil de la tradition a été rompu.

En France, où la critique est plus pointilleuse pour qualifier l’art des autodidactes, des amateurs inventifs et autres bricoleurs inspirés, on distingue art naïf, art brut et art singulier, et ces trois termes ont été ou pourraient être légitimement utilisés à propos du petit chef d’œuvre de Saint-Dizier. De l’art naïf, le Petit Paris a la dimension essentiellement profane, décorative et un brin moralisatrice (la fable du corbeau et du renard). Et ses médaillons de la Tour Eiffel ou de l’Arc de Triomphe, éloge à la fois de la capitale et du patriotisme, font même partie des poncifs traditionnels de l’art naïf, sans que l’ensemble ne manifeste par ailleurs aucune dimension ni religieuse ni métaphysique, contrairement à la maison de Picassiette, à Chartres, ou à la Maison Bleue d’Euclides Da Costa à Dives-sur-Mer, auxquelles le « casseur d’assiettes » d’Eurville et de La Noue pourrait faire penser. Quant aux colombes, aux papillons, aux oiseaux, aux libellules, avec tous les motifs végétaux qui les accompagnent, ils contribuent clairement à rythmer un décor et à meubler l’espace dans un souci de pur embellissement.

Si pourtant on a pu parler parfois d’art brut, par commodité sans doute au départ, parce que le mot est porteur pour désigner les créations insolites des autodidactes, ou pour qualifier la survivance incongrue d’une forme de pratique artisanale ou de bricolage en milieu industriel, on peut y trouver au moins une solide raison : la surcharge décorative ou l’horror vacui qui semble se manifester partout dans l’oeuvre, à l’intérieur comme à l’extérieur, une caractéristique bien connue de l’art brut exprimant en général un excès d’énergie, concentré de façon maniaque, obsessionnelle, sur une fin unique, une idée fixe. Comme Robert Vasseur à Louviers, Marcel Dhièvre, une fois sa tâche de décoration entreprise, ne put jamais s’arrêter, et c’est cette obstination dans la surenchère, à leurs yeux inexplicable, que certains voisins jugeaient sans doute « démesurée ». Alors que c’est par elle au contraire que l’auteur nous apparaît, non pas comme un artiste – il refusait le mot – mais comme un vrai créateur. Dhièvre, qui avait conscience de l’importance de son œuvre, était, paraît-il, « peu causant ». Méprisant le confort, il ne cherchait pas à vendre et refusait les commandes, et pendant trente ans, malgré une main paralysée, il développa une activité incessante, pour séduire un public virtuel qui ne se présentait que rarement. Tout cela sonne familièrement aux oreilles des amateurs d’art brut, qui savent intuitivement la différence entre l’individu habité jour et nuit par une vision personnelle originale et le simple peintre du dimanche.

Singulier, enfin, le Petit Paris l’est évidemment, c’est-à-dire unique et ne ressemblant à rien d’autre (même si les historiens pourraient y voir comme un lointain écho de l’art de la rocaille, né un siècle auparavant). Ce qui n’empêche pas son auteur d’appartenir à la grande famille, aujourd’hui internationale, de ceux que le photographe Jacques Verroust, qui le rencontra in extremis, quelques mois avant sa mort, appela Les inspirés du bord des routes, dans le titre d’un livre fameux publié en 1978 avec l’écrivain Jacques Lacarrière.

Sophie Lepetit

Le Petit Paris est une restauration exemplaire. Il est le fruit d’une collaboration réussie entre différents intervenants qui ont tous agi dans le même sens !

Je me réjouis de ce qui est aujourd’hui à Saint-Dizier et félicite Monsieur le Maire, François Cornut-Gentille, qui a voulu faire du Petit Paris « une surprise » et un atout pour sa ville, Katy Couprie qui a choisi en 1996 cette maison pour « sa lumière particulière dans le paysage urbain » et bien sûr Renaud Drubigny, qui, par sa grande compétence a rendu son âme au lieu.

« Pour moi l’essentiel est de faire sourire les gens quand ils passent et d’égayer la rue, j’ajoute juste un peu de couleur dans la grisaille des jours » disait Marcel Dhièvre, il serait heureux aujourd’hui !

M. Cornut- Gentille lui espérait « fédérer l’esprit d’un quartier et faire de Saint-Dizier une ville unique ».

Le Petit Paris plus qu’un simple musée est devenu lieu de mémoire et lieu d’avenir, l’esprit d’hier dans la vie d’aujourd’hui et de demain, tout simplement le lien entre hier et aujourd’hui !

Le Petit Paris car un lieu singulier rend une ville heureusement singulière !

Henri-Pierre Jeudy

sociologue

Magasin de lingerie et de bonneterie, le Petit Paris a été transformé par Marcel Dhièvre en ce qu’il est convenu d’appeler un lieu « d’art insolite ». Pour des raisons de taille, l’espace choisi par des habitants paysagistes est rarement dans une ville, il se trouve plutôt à l’écart des milieux urbains. Choisir son propre magasin en ville est une manière de capter quotidiennement le regard des citadins dans l’espace public.

En ne se retranchant pas sur un territoire plus ou moins caché que les gens viennent découvrir, tel un secret dévoilé, Marcel Dhièvre offre la possibilité d’une visibilité immédiate des multiples expressions métaphoriques de sa féérie. Les façades qui ne sont pourtant pas grandes, présentent sa légende en « pleine ville », provoquant des effets d’étrangeté malgré la vue familière qu’impose son implantation rendue plus monumentale depuis sa restauration. Le Petit Paris manifeste sa souveraineté urbaine grâce à la passion de cet homme inventif qui a créé en son lieu une véritable constellation de symboles connus de tous. C’est un livre « à ciel ouvert ».

Dans sa voyotte, Marcel Dhièvre travaillant chaque jour l’édifice lilliputien de son Petit Paris, conviait les voisins et les passants à confectionner les façades de leurs habitations, aussi exigües fussent-elles, en paysages imaginaires. Aurait-il souhaité que dans toutes les voyottes les fruits de l’imagination de chacun créent une nouvelle esthétique urbaine ? Le terme de voyotte serait alors devenu l’expression d’un mythe. Une nouvelle utopie urbaine aurait été mise en scène avec une reconquête de l’espace public par le travail quotidien de créations pour le moins singulières.

Ce que Marcel Dhièvre, tout au long de sa vie et du temps consacré à son œuvre, révèle au regard des passants et des voisins, c’est le paradoxe d’une « intimité publique ». Comme dans un rêve éveillé, il dévoile l’intimité de son imagination en la figurant dans le grand récit de ses deux façades du Petit Paris. Il recrée publiquement une énigme familière qui soutient la lecture pour tout un chacun de ce récit devenu légende du monde tout en puisant son inspiration dans les signes tangibles de la réalité telle qu’elle nous est présentée conventionnellement.

Marcel Dhièvre tire de la convention (la Tour Eiffel représentant Paris) ce qui fait la puissance de son imaginaire. Il intériorise le dehors en jouant avec les signes les plus stéréotypés de notre culture. Telle est son originalité de citadin paysagiste.

Coordonnées

Au Petit Paris

La maison de Marcel Dhièvre

478, avenue de la République
52100 Saint-Dizier