Le 20e siècle

L’histoire contemporaine de Saint-Dizier est marquée par trois éléments de taille : la naissance, dès 1913, du terrain d’aviation qui deviendra la Base Aérienne 113, la construction à partir de 1952 d’une ville nouvelle dans le quartier du Vert-Bois, et l’installation de ce qui deviendra l’entreprise Miko dans la ville.

Naissance d'une vocation aérienne : du Robinson à la BA 113

Le 11 août 1910 a lieu le tout premier atterrissage à Saint-Dizier, opération rudimentaire, il est vrai, puisque l’avion - un biplan Farman - s’est posé dans un champ à l’occasion d’une course organisé par le journal le Matin (dite « circuit de l’est »).

L’appareil est piloté par le Lieutenant Fréquant, accompagné du Capitaine Mary, observateur. L’armée s’intéresse en effet de près à l’aviation comme moyen de reconnaissance, intérêt qui influe d’autant plus sur Saint-Dizier que la ville se trouve sur le chemin de la Lorraine ; les aviateurs militaires qui gagnent cette région suivent en général la nationale 4. Cependant, la fiabilité des appareils étant toute relative, il arrive qu’ils soient contraints de se poser en catastrophe dans les champs, et l’idée se fait jour rapidement d’un terrain d’atterrissage adapté.

En 1912 se constitue le Comité Bragard d’Aviation Militaire, qui a pour but de réunir les fonds nécessaires à l’acquisition d’un appareil dont il serait fait don à l’armée. Il est animé par deux proches du maire (le docteur Mougeot), Albert Godard et André Brulliard. Toutefois, quelques temps après, le Comité juge plus intéressant et utile le projet de construction d’un terrain d’atterrissage, dont l’absence, on l’a vu, se fait cruellement sentir.

L’aviateur Védrines, qui a reconnu les environs de Saint-Dizier, juge que les terrains de la plaine du Robinson sont parfaitement adaptés à l’établissement du terrain, et en 1913, celui-ci est inauguré. Il comprend une station d’atterrissage, mais aussi un hangar dont le cahier des charges a été défini par le Ministère de la guerre.

En 1914, le Comité National d’Aviation Militaire baptise un de ses appareils « Ville de Saint-Dizier », afin de remercier le Comité Bragard de ses efforts. Construit en 1913, le terrain est appelé à jouer un rôle important au cours du conflit de 1914-1918. Il est ainsi utilisé comme base arrière des opérations aériennes, et de nombreux appareils viennent s’y ravitailler ou y subir des réparations. Il prend également livraison d’appareils neufs, livrés par le rail via la bretelle ferroviaire qui le dessert. A partir de 1918, le terrain sert de base à des opérations de bombardement, et accueille les aviateurs américains, d’où les agrandissements réalisés. L’aviation militaire abandonne le terrain en 1919. La ville reçoit la médaille militaire pour le rôle de Robinson pendant le conflit en 1921.

Dans les années 30, l’aviation civile utilise le terrain : l’aéro-club Haut-Marnais est créé en 1929, et suscite des manifestations aériennes très populaires, comme celle de 1930 qui attire 10000 spectateurs, ou celle de 1934, où la patrouille Blériot tient un gala aérien. La même année, le terrain est ouvert à la circulation aérienne. L’ancien pilote militaire André Aubry préside aux destinées de l’aéro-club bragard, qui commence à fonctionner en 1935. En 1936, une Section d’Aviation Populaire est créée sous l’impulsion nationale du ministre Pierre Cot. Elle forme près de 150 jeunes gens comme mécaniciens ou pilotes entre 1937 et 1939.

Ces activités cessent avec la déclaration de guerre de septembre 1939, après laquelle des troupes occupent immédiatement le terrain de Robinson. Pendant quelques mois, la base accueille un hôte de marque, qui lui laissera son nom : Antoine de Saint-Exupéry arrive à Saint-Dizier le 2 décembre 1930, et y reste jusqu’au mois de mai 1940. C’est à Saint-Dizier que l’écrivain apprend la réception du prix de l’Académie française pour Terre des hommes, ce qui lui vaut quelques visites prestigieuses, comme celle de son ami Joseph Kessel.

La « drôle de guerre » prend fin brutalement le 10 mai 1940, lors de l’offensive éclair de l’Allemagne, qui prend la France en quelques semaines. Le 14 juin, le terrain est occupé après avoir été évacué par les français, qui ont mis le feu aux réserves d’essence. Les occupants utilisent bien évidemment l’aérodrome, qu’ils développent encore, car il sert de base à des missions d’interception des bombardiers allant bombarder l’Allemagne. L’aérodrome est donc bombardé par les alliés, ce qui entraîne d’importants dommages chez les populations civiles : le 24 mars 1944, un bombardement allié provoque d’importants dégâts matériels aux alentours (Hoéricourt, Valcourt, Saint-Dizier), fait huit morts et vingt blessés civils.

Lorsque les alliés prennent possession du terrain en 1944, celui-ci est un champ de ruines, mais il est rapidement remis en service et utilisé durant les derniers mois de la guerre, voyant par exemple passer les avions de la fameuse escadrille Normandie-Niémen en juin 1945.

La base connaît un regain d’activité en étant mise aux normes de l’OTAN, dont elle devient base permanente en 1951. L’année suivante, elle prend le nom de son hôte d’avant-guerre et devient la BA 113 Antoine de Saint-Exupéry. La sortie de la France de l’OTAN l’amène à une nouvelle reconversion en 1965. Elle accueille alors les FAS (Forces Aériennes Stratégiques) équipées de bombardiers nucléaires Mirage IV.

La base accueille régulièrement un hôte de marque : le général de Gaulle, qui s’y rend en hélicoptère, avant de gagner Colombey-les-deux-Eglises en voiture. Le 29 mai 1968, le général de Gaulle se pose sur la base au plus fort de la crise : il en repart incognito rencontrer en Allemagne le général Massu.

En 1973, la base accueille la septième escadre de chasse, équipée du tout nouveau chasseur franco-britannique Jaguar, qui est appelée à être remplacé prochainement par le Rafale, faisant ainsi de la BA 113 la dernière base à accueillir le Jaguar et la première à accueillir le Rafale.

L'aventure Miko

Très connue pour son activité industrielle, et en particulier métallurgique, Saint-Dizier a également été le berceau de Miko.

Tout commence en 1905, lorsque Luis Ortiz quitte son Espagne natale pour aller chercher en France de meilleures conditions de travail. Vendeur de crèmes glacées et de marrons, la fortune lui sourit assez pour qu’il amasse un peu d’argent et développe son activité.

Après la première guerre mondiale, Luis Ortiz vient s’installer avec les siens à Saint-Dizier, après un périple dans l’est de la France qui l’a mené à Ligny-en-Barrois, Troyes, Verdun et Bar-le-Duc. Il s’y fait connaître en proposant sa production sur les marchés, dans les fêtes de la région, ou à la sortie des cinémas. A partir de 1934, l’affaire est équipée de triporteurs qui suscitent l’admiration curieuse des bragards lors de leur exposition sur la place d’armes.

A partir de 1936, l’affaire connaît un développement accentué qui accompagne celui des loisirs, comme le cinéma, qui est présent à Saint-Dizier à travers un réseau qui comprend jusqu'à cinq salles. En 1943, l’entreprise familiale devient une société, dont la production augmente avec la demande des soldats américains à la Libération. En 1951, l’affaire prend le nom qui reste le sien, ainsi que son célèbre logo (l’esquimau). Le nom Miko viendrait de celui du fox-terrier de l’un des dirigeants de l’affaire. La production connaît un essor considérable, et Miko accompagne celui-ci de démarches publicitaires souvent audacieuses comme ce numéro de Lui, réalisé dans les années 70 à l’occasion d’une campagne reposant sur l’utilisation de mannequins légèrement vêtus. Aujourd’hui propriété du groupe Unilever, Miko est resté sur le lieu des débuts de son succès, avec un site de production dans la zone de Troisfontaines.

« Saint-Dizier le Neuf » : la construction du Vert-Bois

Après la guerre, la population de Saint-Dizier s’élève à près de 20000 habitants, et connaît une expansion continue pour atteindre les 25000 en 1954, et près de 40000 en 1975. L’industrie, grosse consommatrice de main-d’œuvre, explique par son développement cette augmentation spectaculaire de la population, qui pose de manière particulièrement aiguë le problème du logement, d’autant que la ville ne bénéficie pas d’infrastructures de qualité : son réseau électrique et hydraulique est désuet, et ne répond pas à la demande croissante de la population.

C’est ce constat qui conduit à une réflexion sur les moyens de remédier à une véritable crise du logement et des infrastructures le plus rapidement possible ; un office HLM est ainsi créé dès 1948 à Saint-Dizier. Pour donner une idée de l’ampleur de la tâche qu’il doit accomplir, on peut citer un chiffre révélateur : en 1953, 56% des logements bragards remontent à une date antérieure à 1914.

La plaquette éditée à l’occasion de la construction du Vert-Bois, même si elle force le trait dans un but évident (elle a pour but de vanter la ville nouvelle), donne une description éloquente de l’état de la ville : « Etirée le long des routes nationales, l’agglomération est banale, triste, laide même. Mais la vie y est intense et les manifestations extérieures de l’activité y sont multiples. Ce sont les « voyottes » qui expriment le mieux peut-être le caractère de la ville. Partant de la Grand’rue, cachées derrière un immeuble et comme protégées par une porte cochère, les voyottes sont des ruelles étroites, sales, malodorantes et surpeuplées. L’on peut d’une fenêtre prendre la main de son voisin d’en face. Les constructions sont en torchis, malsaines, exiguës ; elles abritent des familles entassées à sept dans une pièce, elles ne voient jamais le soleil et ne parviennent pas à donner l’illusion du confort malgré la coquetterie touchante de leurs habitants qui, comme un défi, mettent des plantes sur leur façades et des rideaux à leurs fenêtres. »

Edgar Pisani, qui est alors Préfet de la Haute-Marne, est partisan de la solution de la ville nouvelle. L’homme est dynamique, qui est devenu le plus jeune préfet de France après guerre, et il entend mener le projet rapidement.
Ainsi, le site du Vert-Bois, rejeté dans un premier temps car nécessitant de coûteux travaux de raccordement aux réseaux, est finalement retenu pour la construction de la ville nouvelle, d’autant que le premier projet se situait à proximité de la bruyante base aérienne. L’enjeu est de taille, puisque le projet est historiquement la première ville nouvelle de France, dont les travaux commencent en 1953, et qui est prévue pour accueillir 30000 personnes, soit un doublement de la capacité d’accueil de Saint-Dizier ! Une partie du nouveau quartier est prévue pour l’accueil des familles de militaires de la base toute proche.

Dès 1954, 64 logements sont achevés au Vert-Bois, et en 1955, 1000 logements sont achevés. Fait étonnant, l’absence relative de commerces était voulue, afin d’éviter, selon les promoteurs du projet, une scission de Saint-Dizier en forçant les habitants de la ville nouvelle à faire leurs achats dans la « vieille » ville. La construction de cet ensemble impressionnant se poursuit jusque dans les années 70.

Si le projet a depuis avoué ses faiblesses, il faut souligner qu’il répondait, dans le contexte de l’époque, à de réels besoins, et suscita un certain enthousiasme de la part de ses habitants, dont certains découvraient littéralement l’eau courante à domicile, voire l’électricité domestique. Rien ne saurait mieux résumer l’idée des concepteurs du Vert-Bois que les mots de la fameuse plaquette éditée en 1952 pour promouvoir le projet : « l’homme aura sa meilleure part d’air, de lumière, de vision, de verdure, de commodité, mais aussi d’isolement... puisque les constructions représentent seulement le sixième des surfaces dans le même temps où la densité sera en fait quatre fois plus importante que dans la ville toute proche [...] »

En 1978, l’avis d’une journaliste conduit toutefois à nuancer sérieusement la réussite du projet : « Une cité ouvrière ; rien pourtant d’un centre de transit. Un quartier, pourtant qui n’en est pas un, sans monuments aux morts, sans café du commerce. Un semis de HLM coupé du vieux Saint-Dizier par le canal et la route nationale. Le Vert-Bois, ville nouvelle. »

Le bilan du Vert-Bois est donc mitigé, mais ne doit pas faire oublier la nouveauté du projet à l’époque de son lancement, ainsi que la réponse qu’il apportait à de réels problèmes de logement et de salubrité.

Discours d'Edgar Pisani

« [...] Pourquoi une ville nouvelle à Saint-Dizier ? Eh bien, parce que les besoins en logement de cette ville, à la date à laquelle nous avons entrepris notre programme étaient de l’ordre de 5.000 logements. C’est-à-dire que ces besoins correspondent au doublement de la population de la ville.

Pourquoi ville neuve ? Parce que le tissu urbain de Saint-Dizier est le plus désespérant qui soit et que le problème présentait une telle urgence qu’il n’était pas question de démolir un seul appartement avant d’en avoir construit de nouveaux ; or toute œuvre raisonnable d’urbanisme et de construction de logements nouveaux à Saint-Dizier aurait dûe être précédée de la destruction de quartiers entiers. [...]

Quel type de ville ? D’abord c’est une ville résidentielle, placée sur le territoire même de la commune de Saint-Dizier, qui est riche en industries exigeant un apport de main-d’œuvre, industries implantées dans des zones industrielles fort bien équipées. Il n’y avait aucune espèce de raison de faire là une ville autre que de résidence.

Obligés de choisir entre une ville de type strictement traditionnel dont nous étions sûrs qu’elle sécrétait un certain type de vie qui ne nous donnait pas entièrement satisfaction, et une ville d’un type nouveau, mais en courant le risque de compromettre ces relations sociales qui constituent la vie urbaine, nous avons pensé que cette audace nouvelle était raisonnable.

L’œuvre de construction d’une ville est vraiment une des oeuvres les plus ambitieuses de l’esprit humain ; c’est un acte divin, j’en suis ravi.[...]

Cet ensemble [le Vert-Bois] représente sur 116 hectares de l’ordre de 25.000 habitants, 24.000 habitants, et j’ai voulu vous apporter la maquette pour vous prouver à quel point l’on peut arriver à ces fortes densités avec une impression de liberté, d’aération, d’espace, qu’aucune ville ancienne ne donne, et la comparaison, je vous l’assure, entre Saint-Dizier l’ancien qui avec ses 500 hectares accueille 20.000 habitants, en donnant l’impression de taudis, de surpeuplement, d’étouffement, et cette ville neuve qui avec ses 116 hectares et ses 25.000 habitants, c’est-à-dire une densité cinq fois supérieure, donne l’impression de liberté, d’espace... la comparaison de ces deux unités est assurément à nos yeux la meilleure justification de l’urbanisme. »